Comment les données collectées dans le cadre de la surveillance communautaire peuvent-elles être utilisées ?

Comment les données collectées dans le cadre de la surveillance communautaire peuvent-elles être utilisées ?

Cette section de la boîte à outils examine maintenant comment les preuves collectées dans le cadre de la surveillance communautaire peuvent être utilisées en vue d'augmenter les chances d'identifier les navires soupçonnés de pratiquer la pêche INN et, à terme, de les sanctionner.

La plupart des mesures proposées nécessiteront des ressources humaines et techniques importantes. C'est pourquoi cette section s'adresse principalement aux organisations qui travaillent avec les pêcheurs et les soutiennent, et qui sont susceptibles d'être intéressées par le développement d'un programme de surveillance communautaire similaire à celui fonctionnant avec l'application DASE. Elle s’adresse également aux organisations qui travaillent déjà avec les pêcheurs utilisant l'application DASE.

Vérification des données collectées par la surveillance communautaire

Les preuves recueillies dans le cadre de la surveillance communautaire devraient, dans la mesure du possible, être vérifiées à partir de plusieurs sources de données avant d'être communiquées aux autorités compétentes en vue d'un suivi et d'une éventuelle mesure coercitive. Cela permet de s'assurer que les données décrivent réellement un comportement potentiellement illégal ou dangereux, et ainsi de maintenir la légitimité et la crédibilité des données soumises dans le cadre de la surveillance participative.

Les outils disponibles afin de vérifier les données fournies par les pêcheurs sont notamment les suivants :

  • Des outils cartographiques simples et gratuits, tels que Google Earth. Ces outils sont particulièrement utiles pour identifier les infractions liées à la pêche pratiquée dans des zones interdites, telles que les aires marines protégées (AMP) et les ZEC. Par exemple, si un navire industriel est soupçonné d'avoir pêché illégalement dans une ZEC réservée aux pêcheurs artisanaux, les utilisateurs peuvent déterminer les coordonnées du navire (si elles sont disponibles, notamment si elles ont été collectées via l'appli DASE) sur Google Earth et utiliser la fonction de mesure de la distance pour évaluer à quelle distance le navire en question se trouve de la côte, ce qui permet de mieux savoir si une infraction a effectivement pu être commise. Il est également possible d'importer des limites (de zones) dans Google Earth et d'autres logiciels similaires, correspondant par exemple aux limites d'une AMP où certains types d'activités de pêche sont interdits, ou aux limites d'une ZEC. Google Earth peut être téléchargé ici, et un guide d'utilisation est disponible ici.

  • Les plateformes de suivi des navires. Celles-ci comprennent les plateformes gratuites (telles que Global Fishing Watch) et celles dont l'accès est payant (telles que la plateforme Spire Shipview et Starboard.nz). Ces plateformes permettent un suivi en temps quasi réel des navires de pêche et peuvent être utilisées pour corroborer les images et les données de localisation communiquées par les pêcheurs. Les logiciels de suivi des navires peuvent être utilisés conjointement avec Google Earth. L'itinéraire d'un navire peut être téléchargé à partir de la plupart des plateformes (par exemple sous la forme d'un fichier .kml), importé dans Google Earth et comparé aux coordonnées communiquées par les pêcheurs. Par exemple, si un navire industriel ayant été photographié éteint son système de géolocalisation à proximité d'une zone protégée, cela peut constituer une preuve supplémentaire d'un comportement à risque.

La vérification des listes de licences ou d'autorisations publiées par l'État du pavillon ou l'État côtier concerné. Ces listes peuvent aider à déterminer si les activités de pêche identifiées par la surveillance communautaire sont autorisées par les autorités compétentes. Elles peuvent également permettre de confirmer l'identité d'un navire lorsque le marquage du navire sur les images rapportées n'est pas clair, ainsi que le type de navire et les espèces ciblées. Certaines autorités gouvernementales publient des données sur les navires autorisés à pêcher dans leurs eaux ou à pêcher en battant leur pavillon, mais ces informations ne sont souvent pas tenues à jour ou sont publiées de façon ponctuelle, voire ne sont pas du tout publiées. Le Ghana, par exemple, a publié par le passé des listes de thoniers et de chalutiers, ainsi que de navires semi-industriels, autorisés à pêcher dans sa zone économique exclusive (ZEE). Au Sénégal, après cinq ans de travail collaboratif de la part d'organisations nationales et internationales de la société civile, dont EJF, les autorités ont publié la liste des navires industriels autorisés à pêcher dans les eaux du pays. Les registres de navires les plus complets sont souvent disponibles auprès des organisations régionales de gestion des pêches (ORGP) (voir, par exemple, la liste des navires autorisés de la CTOI et de la CICTA), bien qu'ils ne soient pertinents que lorsque les activités de pêche relèvent du mandat de l'ORGP en question (à savoir la pêche au thon ou à des espèces apparentées). Le Fichier mondial de la FAO des navires de pêche, des navires de transport frigorifique et des navires d'approvisionnement peut également être consulté et permettre d’effectuer des vérifications, y compris pour confirmer le nom du navire, les identifiants uniques du navire et l'État du pavillon.

Compilation et partage des données avec les autorités compétentes

Si, après avoir effectué les vérifications mentionnées plus haut, il s'avère que les preuves soumises par les pêcheurs font état de possibles activités de pêche illégale, l'étape suivante consiste à compiler ces éléments de preuves avec toutes les autres informations pertinentes pour ensuite les partager avec les autorités. EJF partage ces informations dans les notifications sur les activités des navires (Vessel Activity Notifications, également appelées « alertes INN ») et les soumet bilatéralement aux autorités compétentes en vue d'un suivi et d'une éventuelle action coercitive (voir la section « Ressources complémentaires » qui présente des exemples).

Les informations suivantes, lorsqu'elles sont disponibles, doivent être incluses dans ces notifications :

  1. Les détails sur la propriété du navire (si possible en identifiant les sociétés associées à ses opérations, l'État du pavillon et d'autres informations d'identification (par exemple, le nom, l'indicatif d'appel, le MMSI, le numéro IMO).

  2. Une description écrite détaillée des comportements du navire, incluant les dates, lieux et heures, et les raisons pour lesquelles ils sont suspectés d'être illégaux, avec, si possible, une référence aux lois applicables qui pourraient avoir été enfreintes.

  3. Des copies des images capturées par le biais de la surveillance communautaire (en prenant soin de ne partager aucune information susceptible de révéler l'identité du pêcheur), ainsi que d'autres graphiques ou images pertinents, tels que des captures d'écran de l'itinéraire du navire sur Global Fishing Watch ou Google Earth et des mesures indiquant la distance de la côte, ainsi que des feuilles de calcul téléchargeables indiquant les coordonnées exactes, les dates, les vitesses de pêche et toute autre information pertinente.

  4. Les informations sur la chaîne d'approvisionnement potentielle des navires. Il est difficile d'obtenir des informations précises sur les chaînes d'approvisionnement des navires de pêche en raison de la nature opaque du secteur. Toutefois, des informations provenant de sources ouvertes sont parfois disponibles en ligne et peuvent indiquer la destination potentielle des captures d'un navire. Par exemple, la DG SANTE (le service de la Commission européenne responsable de la politique en matière de sécurité alimentaire et de santé dans l'UE) publie une liste d'établissements de pays tiers autorisés à exporter vers l'UE, qui peut inclure les noms des navires de pêche. Bien que la présence d'un navire sur cette liste ne constitue pas une preuve concrète de l'existence d'une chaîne d'approvisionnement active, elle peut être un indicateur du commerce entre un navire particulier et l'UE. Dans certains cas, les grands détaillants peuvent publier les informations relatives aux navires qui les approvisionnent, et/ou les grandes sociétés de pêche peuvent publier les informations relatives aux clients qu'elles approvisionnent. Par exemple, EJF a pu obtenir des informations détaillées concernant la chaîne d'approvisionnement de Zhejiang Ocean Family, l'une des plus grandes sociétés chinoises de thon, sur la base des informations fournies dans un prospectus préparé pour son introduction en bourse. L'utilisation de logiciels de suivi des navires peut également permettre de savoir où sont destinées les captures d'un navire. Des outils tels que les algorithmes s'appliquant aux transbordements, qui identifient les cas où le poisson est transféré en mer vers des navires collecteurs, peuvent permettre aux utilisateurs de suivre le navire collecteur jusqu'aux principaux marchés de produits de la mer. Toutefois, là encore, les utilisateurs doivent être conscients des limites inhérentes à cette méthode, celle-ci reposant sur des données satellitaires et non sur des preuves tangibles de la commercialisation du poisson à l'échelle mondiale.

  5. Toute autre information susceptible d'aider les autorités dans leurs investigations (cela peut concerner par exemple les antécédents de comportements illégaux des navires ou d'une flotte, ou d'autres comportements à risque ayant été identifiés par le suivi des navires).

Une fois que les données, ainsi que les informations pertinentes mentionnées ci-dessus, ont été compilées et vérifiées, elles sont prêtes à être partagées avec les autorités compétentes. En fonction de la nature des preuves soumises et de l'infraction potentielle, le(s) destinataire(s) des preuves peut/peuvent inclure les autorités compétentes de : (i) l'État du pavillon du navire, (ii) l'État côtier dans les eaux duquel le navire pêchait, (iii) le(s) État(s) portuaire(s) visité(s) par le navire, ou par tout navire avec lequel il est soupçonné d'avoir effectué un transbordement, et/ou (iv) l'État de commercialisation qui était la destination finale des produits de la mer. Des preuves peuvent également être soumises à des organisations régionales ou internationales, telles que les ORGP compétentes pour la zone géographique, l'espèce ou la pêcherie concernée, ou à la Commission européenne en cas de violation de la législation de l'UE. Des preuves peuvent par exemple être envoyées dans le cadre des contrôles des importations de l'UE visant à empêcher l'entrée sur le marché de l'UE de produits de la mer issus de la pêche INN, ou si les informations sont pertinentes, dans le cadre des dialogues bilatéraux entre la Commission et les pays tiers prévus par le règlement de l'UE sur la pêche INN.

Il est utile d'identifier les services et les personnes susceptibles d'être intéressés par ces informations, soit en effectuant des recherches sur Internet, soit en suivant les conseils des partenaires locaux dans le pays, quand cela est possible. Les personnes concernées peuvent inclure des fonctionnaires du ministère de la pêche, de l'autorité de la pêche et/ou de l'autorité maritime, ainsi que des services responsables du contrôle et de la surveillance des pêches.

Lorsqu'elles transmettent des données à l'un de ces destinataires, les organisations doivent être prudentes quant au langage utilisé pour décrire les activités du navire, de même que sur la manière dont elles publient les détails des infractions présumées (par exemple dans des rapports, des bulletins d'information, des pages web) ainsi que le moment de leur publication, afin d'éviter toute répercussion juridique. Il est conseillé d'utiliser un langage prudent, en utilisant par exemple le conditionnel (« serait impliqué ») et (« décrirait des comportements souvent liés à la pêche INN »)

French EU logo