Quels sont les défis de la surveillance communautaire et comment les relever ?

Garantir l'adhésion des gouvernements des États côtiers

Certains pays ne disposent pas de règlements et d'organes destinés à mettre en œuvre et à superviser les programmes de surveillance communautaire, ce qui peut créer des obstacles à leur déploiement et entraîner des tensions entre les organisations non gouvernementales chargées de leur mise en œuvre et les autorités gouvernementales compétentes. Il est également possible que certains gouvernements d'États côtiers s'opposent à l'implication des communautés dans les programmes de suivi, de contrôle et de surveillance (SCS), car ces activités relèvent généralement du mandat de l'autorité nationale de la pêche. Cette situation peut constituer un réel défi lorsque le rôle des communautés ou des tierces parties dans la collecte et la soumission de preuves n'est pas encore reconnu dans les cadres juridiques ou politiques pertinents à l’échelle nationale.

En outre, les autorités des États côtiers peuvent se montrer réticentes à enquêter sur les informations transmises dans le cadre de la surveillance communautaire, et ce pour un certain nombre de raisons. Il peut s'agir, entre autres, d'une faible volonté politique de prendre des mesures coercitives à l'égard des auteurs de la pêche INN, de capacités de mise en œuvre des réglementations insuffisantes, de l'implication d'acteurs locaux ou internationaux puissants dans le secteur de la pêche, d'une méfiance vis-à-vis des informations communiquées par des tiers, de l'absence d'obligation de rendre des comptes ou d’un manque de supervision sur les contrôles et sur la mise en œuvre des réglementations en matière de pêche.

Pour relever ces défis, il convient de s'assurer que les programmes de surveillance communautaire soient légaux, transparents et qu'ils impliquent les autorités compétentes dès le départ, tout en veillant à ce que les participants comprennent la portée et la compétence du projet. Pour ce faire, plusieurs approches sont possibles, comprenant notamment l'organisation de réunions et d'événements avec les parties prenantes afin de présenter le programme, d'obtenir et d'intégrer des observations et de retours sur les projets, et de faciliter l'accès aux données récupérées grâce à l'application (en veillant à préserver l'anonymat des personnes qui soumettent des preuves). En outre, les autorités locales ou nationales peuvent participer à la collecte de preuves, au même titre que les pêcheurs ou en collaboration avec ces derniers. Au Sénégal, par exemple, la surveillance communautaire est effectuée par des équipes de surveillance conjointes, qui comprennent des membres des conseils locaux de la pêche artisanale et des agents des centres de surveillance côtière, qui sont des fonctionnaires de l'administration locale.

Le manque d'adhésion des communautés

Trouver des pêcheurs motivés pour s'engager dans la surveillance communautaire et s'assurer qu'ils continuent à participer aux projets constitue une condition difficile mais essentielle de ces programmes. Dans le cas des méthodes de surveillance communautaire nécessitant une application mobile, les pêcheurs peuvent hésiter à prendre leur téléphone personnel avec eux en mer par crainte de le perdre ou de l'endommager.

Afin de répondre à cette préoccupation compréhensible, EJF a testé un certain nombre d'approches qui ont remporté plus ou moins de succès. Les solutions qui suivent peuvent être envisagées lors du déploiement de l'application DASE, même si la réponse la plus appropriée ou la plus acceptable dépendra probablement du contexte local et des ressources disponibles :

  • Distribuer des supports de téléphone en plastique étanche aux pêcheurs participant au projet de surveillance communautaire afin de protéger les téléphones contre les dommages causés par l'eau ou la chute des appareils en mer.

  • Fournir aux pêcheurs des smartphones sur lesquels l'application DASE est déjà installée. Cette approche peut s'avérer coûteuse et il existe un risque que les téléphones soient endommagés, perdus ou volés. EJF a constaté que cette approche fonctionne mieux avec les pêcheurs de confiance avec lesquels une relation solide a déjà été établie. Cependant, les pêcheurs peuvent tout de même se montrer réticents à emmener leur téléphone en mer ou peuvent le prêter à des amis ou à des membres de leur famille pour leur usage personnel plutôt que pour des activités de surveillance.

  • Distribuer des appareils photo numériques géolocalisés (équipés d’un système GPS), parallèlement au déploiement de l'application mobile. Les appareils photo géolocalisés sont souvent plus robustes que les téléphones, plus simples à utiliser, moins chers et moins susceptibles d'être volés. La distribution de ces appareils photo entraîne toutefois des coûts considérables et nécessitera probablement des réunions régulières avec les pêcheurs afin de collecter les cartes mémoire et de transférer les données, ce qui signifie qu'il est préférable de les attribuer aux communautés situées à proximité de l'organisation qui les déploie.

Les faibles taux d'alphabétisation peuvent constituer un obstacle à l'utilisation de certaines technologies et doivent être pris en compte lors de la conception et du déploiement des outils de surveillance communautaire. Il convient donc de rendre leur utilisation intuitive et de dispenser une formation approfondie. Si possible, ces outils doivent être adaptés aux dialectes locaux ou fonctionner à l'aide de symboles.

À terme, les pêcheurs peuvent également ressentir une perte de motivation si les autorités compétentes ne prennent pas de mesures coercitives en réponse aux preuves soumises concernant des activités illégales, s'ils rencontrent des problèmes techniques ou s'ils ne se sentent pas soutenus par l'organisation qui les a engagés pour assurer la surveillance communautaire. Dans cette perspective, il est primordial de s'engager auprès des communautés au-delà de la phase de déploiement initiale. Ce soutien est non seulement essentiel pour ceux qui recueillent des preuves en mer, mais il peut également aider l'organisation chargée de la mise en œuvre à mieux comprendre les facteurs comportementaux et technologiques qui déterminent le niveau de participation et la pérennité de la participation des pêcheurs.

Les risques pour la sécurité des pêcheurs

Il est de plus en plus admis que la pêche INN s'inscrit dans le cadre de la criminalité transnationale et qu'elle est étroitement liée, dans certains cas, à la corruption, aux violations des droits des travailleurs et à la traite des êtres humains, ainsi qu'à des réseaux criminels internationaux. En tant que telle, la collecte d'informations sur les activités de pêche INN en mer comporte des risques, notamment l'hostilité des membres d'équipage des navires soupçonnés de se livrer à la pêche illégale. Il convient donc de reconnaître ces risques et de les atténuer. Au Sénégal, des pêcheurs artisanaux ont rapporté avoir été aspergés d'eau bouillante lorsqu'ils tentaient se confronter à des navires industriels au sujet de la destruction de leurs engins de pêche.

Il est donc essentiel de dispenser des formations consacrées à la sécurité (une série de ressources sur la sécurité en mer est disponible en ligne, comme le manuel de la FAO « Sécurité en mer pour la pêche artisanale »). Il convient de conseiller aux pêcheurs d'éviter à tout prix la confrontation et de maintenir une distance de sécurité avec les navires lorsqu'ils effectuent des opérations de surveillance. Ils doivent également être formés à la manière de reconnaître les agressions et d'y réagir afin d'assurer leur sécurité. Il est également important que les projets de surveillance communautaire n'incitent pas financièrement à des comportements à risque (en offrant par exemple de l'argent en échange d'images de navires, ou en échange de preuves de pêche INN de manière plus générale).

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