Pour être efficaces, les campagnes de plaidoyer doivent être bien planifiées et exécutées. Il est important de veiller à ce qu'elles soient ambitieuses mais réalistes, qu'elles reflètent fidèlement les préoccupations communes de tous les membres des communautés, y compris ceux qui peuvent se trouver marginalisés, et qu'elles puissent présenter des arguments convaincants qui soient entendus par les décideurs.
L'approche de plaidoyer SMART est un outil utile pour la planification des objectifs de plaidoyer. Il établit neuf grandes étapes pour la planification et l'exécution des campagnes de plaidoyer, regroupées sous trois catégories (phases) : « Établir un consensus », « Concentrer les efforts » et « Réussir le changement ».
Cette approche se concentre sur le décideur : la personne spécifique détenant l'autorité nécessaire en vue de faciliter le changement par le biais de demandes émanant de « champions » du plaidoyer bien informés. Il s'agit d'une stratégie globale qui vise à mieux préparer les responsables de campagne avant toute action de plaidoyer, en les aidant à obtenir un changement. Un guide détaillé du cycle de plaidoyer SMART est disponible ici. La partie qui suit présente une version abrégée de ce cycle, en l'appliquant au contexte des problématiques et activités potentielles auxquelles peuvent être confrontés les ANP.
Appliquer l'approche de plaidoyer SMART aux questions affectant les communautés de pêche artisanale
Phase 1 – Établir un consensus
Étape 1 – Comprendre le contexte : Examinez les facteurs internes et externes qui pourraient affecter votre capacité à réussir. Identifiez les données probantes que vous utiliserez pour vous focaliser sur un besoin spécifique de santé ou de développement et pour suivre le progrès de votre plaidoyer.
À ce stade, les ANP peuvent dresser une cartographie générale des facteurs pertinents et de l'environnement contextuel entourant le sujet pour lequel elles souhaitent mener des actions de plaidoyer. Il s'agira de faire le point sur ce qu'ils savent sur leur sujet, ce qu'ils doivent savoir, les défis éventuels qu'ils peuvent rencontrer, les acteurs clés, etc. Par exemple, si les pêcheurs d'une communauté rencontrent des difficultés à se procurer du carburant à un prix abordable, voici quelques exemples du type d'informations dont ils auront besoin : quelles sont les personnes responsables de la fixation du prix du carburant, que prévoient les réglementations et les lois sur la manière et le lieu de distribution du carburant, qui soutiendra un changement dans la distribution du carburant et qui s'y opposera, quels sont les organismes régionaux et nationaux qui peuvent prendre des décisions à ce sujet et qui d'autre dans le pays ou la région fait campagne pour un accès plus équitable au carburant. Lorsque les organisations de pêcheurs n'ont pas la capacité de se procurer ces informations, elles doivent se demander quelles organisations ou personnes (par exemple des représentants politiques locaux, des ONG, des institutions académiques) pourraient être en mesure d'obtenir plus d'informations pour eux.
Les associations de pêcheurs doivent également s'assurer de recueillir les avis et les expériences d'un grand nombre de leurs membres et des communautés qu'ils représentent. En reprenant l'exemple précédent concernant la difficulté d'accès au carburant, cela impliquerait ici de s'engager avec ceux qui sont directement affectés par le manque d'accès à un carburant abordable (c'est-à-dire les pêcheurs) et ceux qui peuvent être indirectement touchés (par exemple les femmes de la communauté susceptibles d'être sollicitées pour apporter un financement supplémentaire). Recueillir le témoignage des personnes affectées peut constituer une preuve utile de l'impact de l'évolution des prix des carburants, mais les associations de pêcheurs doivent également réfléchir aux autres preuves qu'elles peuvent collecter afin de soutenir leurs objectifs.
Étape 2 – Décider qui impliquer : Assurez-vous que tous les acteurs pertinents soient autour de la table : celles et ceux qui ont l’influence, l’expertise, les ressources et/ou les compétences nécessaires.
Avant de lancer une campagne de plaidoyer, les associations de pêcheurs doivent déterminer quelles sont les acteurs susceptibles de les aider à élaborer, à diffuser et à soutenir cette campagne. Ces parties intéressées devraient réunir un éventail de compétences et d'expertises complémentaires. Les acteurs de la pêche peuvent être, par exemple, des représentants des pêcheurs, des transformateurs et des négociants en poisson, des ONG locales ou internationales ou des organisations de développement travaillant sur la pêche ou avec les communautés côtières du pays, des départements universitaires travaillant sur la pêche (de nombreuses universités ont des départements liés aux questions marines), des institutions religieuses ou spirituelles, des représentants politiques locaux et nationaux et des institutions gouvernementales, des organes de presse locaux, etc.
Veuillez consulter les ressources complémentaires pour plus d’informations sur les formations destinées à l'identification et l'implication des parties prenantes.
Étape 3 – Définir un objectif SMART : Définissez clairement le but de plaidoyer sur le long terme, et fixez un objectif SMART pour engranger des avancées graduelles, soit obtenir des gains de plaidoyer vers l’atteinte de votre but.
Un objectif SMART doit être : Spécifique, Mesurable, Atteignable, Réaliste et pertinent et Temporellement défini. Les associations de pêcheurs et leurs partenaires doivent réfléchir à ce qu'ils peuvent atteindre de manière réaliste, à ce qu'ils considèrent comme une « réussite » et au délai dans lequel ils souhaitent y parvenir. Par exemple, une communauté côtière confrontée à l'élévation du niveau de la mer peut demander l'aide du gouvernement pour s'adapter à cette problématique. Dans ce contexte, une campagne qui viserait à reloger une communauté entière dans les six mois serait sans doute trop ambitieuse. En revanche, une campagne plaidant pour la mise en place d'une forme de défense contre la montée des eaux dans les dix-huit mois serait plus réalisable. Les organisations de pêcheurs peuvent également envisager de recourir à des indicateurs de progrès afin d'évaluer les progrès de leur stratégie de plaidoyer tout au long du processus.
Phase 2 – Concentrer les efforts
Étape 4 – Connaître le décideur : Identifiez le ou les décideur(s) spécifique(s) ayant le pouvoir de réaliser votre objectif. Utilisez vos connaissances du ou des décideur(s) pour développer votre stratégie.
Lors de cette étape, les organisations de pêcheurs doivent identifier les décideurs qui peuvent, à terme, apporter les changements qu’elles préconisent, et déterminer s'il est réaliste de les rencontrer directement ou s'il est préférable de s'adresser aux membres de leur équipe. Il est utile d'explorer les réseaux des organisations de pêcheurs et de tous les partenaires identifiés à l'étape 2 pour trouver de potentiels contacts pertinents. Une fois encore, il est important d'identifier des cibles réalistes ; tenter de mobiliser un ministre national de la pêche n'est peut-être pas utile pour un problème spécifique au niveau communautaire, mais un représentant régional d'un service local du ministère pourrait constituer une cible idéale pour l'action de plaidoyer.
Une fois le décideur identifié, les organisations de pêcheurs et leurs partenaires doivent se familiariser avec leurs cibles : les décideurs visés sont-ils des experts en la matière ? Se sont-ils déjà engagés dans ce domaine et, le cas échéant, par quels moyens ont-ils agi ? Quels sont leurs agendas ou leurs rôles professionnels et comment pouvez-vous formuler votre problème afin de vous aligner sur leurs intérêts et priorités ?
Étape 5 – Formuler la bonne requête : Réfléchissez à des arguments factuels, émotionnels et éthiques pour soutenir votre requête de plaidoyer et vous aligner sur les intérêts et priorités du décideur. Développez des messages ciblés et identifiez le messager.
À ce stade, les associations de pêcheurs devraient envisager d'affiner leur plaidoyer de manière à mieux refléter les décideurs ciblés et les informations obtenues au cours des étapes précédentes, en s'appuyant sur les trois « E » : Ensemble de preuves, Émotion et Éthique (pour des arguments scientifiques, émotionnels et éthiques). Il peut s'agir, par exemple, d'affiner une campagne de plaidoyer plus large visant à mettre fin à la pêche INN au niveau communautaire, en demandant à un sous-ensemble de pêcheurs de mettre fin à la pratique de la pêche à l’explosif. Les organisations de pêcheurs doivent déterminer quels arguments parmi les arguments éthiques (« cette pratique est injuste parce que »), émotionnels (« cette communauté souffre parce que ») ou fondés sur des données probantes (« les données indiquent que cette pratique est néfaste parce que »), sont les mieux adaptés pour atteindre leurs objectifs, ou s’il s’agit d’une combinaison des trois. Les pêcheurs d'une communauté peuvent être plus enclins à écouter les anciens de la communauté plutôt que des universitaires ou des représentants d'ONG, tandis que les fonctionnaires locaux peuvent être plus enclins à s'engager avec des ONG qu'avec des membres de la communauté.
Étape 6 – Créer un plan de travail : Sélectionnez des activités de plaidoyer spécifiques pour progresser vers votre objectif SMART. Créez un chronogramme des activités détaillé comprenant les tâches à effectuer, qui les effectuera, et avec quelles ressources financières
La première phase consiste ici à cartographier les ressources dont disposent une association de pêcheurs et ses partenaires dans le cadre d'une campagne de plaidoyer. Par ressources, on entend ici non seulement les ressources financières, mais aussi le temps, l'influence, les plateformes, l'accès, les données et les ressources humaines. Par exemple, une organisation peut avoir une connaissance approfondie d'un problème affectant sa communauté et être en mesure d'en faciliter l'accès, mais ne pas disposer des ressources financières nécessaires pour l'aborder de manière satisfaisante ou pour sensibiliser l'opinion publique. Ce déficit de ressources financières pourrait être comblé par des ONG ou d'autres organisations parmi les parties intéressées.
Une fois cette étape franchie, les ACP et leurs partenaires peuvent élaborer un plan de travail détaillé (en identifiant qui assumera quel rôle, en estimant les coûts et en fixant un calendrier). Le plan de travail doit être transmis à tous les membres du groupe, et une ou plusieurs personnes doivent être désignées pour garantir le respect du plan et en suivre l'évolution.
Phase 3 – Réussir le changement
Étape 7 – Présenter les arguments : Préparez-vous à rencontrer votre décideur. Créez des produits de communication à son intention. Exécutez votre plan de travail.
Les Organisations de pêcheurs doivent réfléchir aux supports de communication qui serviront le mieux leur campagne de plaidoyer. Lorsqu'il s'agit d'influencer un groupe plus large de personnes, les approches offrant une grande visibilité conviennent sans doute mieux (notamment les panneaux d'affichage, les émissions de radio ou les affiches). Par exemple, dans le cadre des travaux d’EJF visant à mettre fin au commerce illégal et nocif du « saiko » (un pratique de pêche destructrice et illégale) au Ghana, EJF et ses partenaires ont placé des panneaux d'affichage sur des axes routiers importants, près de la plaque tournante du commerce de la région centrale du Ghana, afin de sensibiliser la population à ce problème.
Une communication efficace est indispensable pour que les organisations de pêcheurs défendent efficacement leurs intérêts, sensibilisent aux questions urgentes et rallient des soutiens à leur cause. Un large éventail de plateformes et d’opportunités est disponible pour promouvoir un message, les organisations utilisant une série de méthodes conventionnelles et modernes (notamment divers réseaux sociaux) en vue de toucher leurs cibles. Les organisations de pêcheurs doivent élaborer et mettre en œuvre des stratégies de communication efficaces pour atteindre leurs objectifs, influencer les décisions politiques et rallier des soutiens en faveur de pratiques de pêche durables. C’est en définissant des objectifs clairs, en identifiant les publics clés, en élaborant des messages convaincants, en sélectionnant les canaux appropriés et en évaluant les résultats, que les associations peuvent renforcer leurs efforts de communication et maximiser leur impact.
En privilégiant des stratégies efficaces de gestion de la communication, les organisations de pêcheurs sont mieux à même de défendre les intérêts de l'organisation et de favoriser un changement durable pour la gestion des pêches au niveau national, voire international. Vous trouverez des supports de formation sur la gestion de la communication et les stratégies de plaidoyer dans les ressources complémentaires de cette section.
Dans les cas où le décideur est un individu ou un petit groupe d'individus, les organisations de pêcheurs et leurs partenaires peuvent préparer des supports de communication plus détaillés et plus adaptés, tels que des présentations PowerPoint ou d'autres supports. En Thaïlande, dans le cadre de la campagne d'EJF visant à s'attaquer au problème des « filets fantômes » (c'est-à-dire les filets jetés intentionnellement ou perdus en mer qui continuent à piéger les espèces marines), EJF a mené des actions de plaidoyer dans les écoles locales en vue de sensibiliser les jeunes générations à ce problème (en apportant avec eux à la fois des exemples de filets nocifs, et les matériaux issus de leur recyclage effectué par EJF dans le cadre de la campagneNet Free Seas (« Mers sans filets »). En novembre 2022, EJF a réuni à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar 80 étudiants et professeurs, ainsi que plusieurs parties intéressées concernées au Sénégal, notamment des pêcheurs artisanaux et des représentants des autorités locales, afin de discuter de la surveillance communautaire. L'événement visait à sensibiliser les futurs dirigeants et gestionnaires de la pêche aux solutions innovantes et inclusives en vue de lutter contre la pêche INN.
Étape 8 – Suivre le plan : Créez un plan pour suivre vos avancées. Identifiez et utilisez des références pour évaluer les progrès et vérifier que vous êtes sur la bonne voie. Soyez assez flexible pour vous adapter à de nouveaux événements, pour ajouter des activités, revoir vos messages et/ou savoir quand repenser votre stratégie.
L’approche de plaidoyer SMART reconnaît que les campagnes de plaidoyer peuvent être complexes et que les succès peuvent être progressifs. Pour évaluer les progrès réalisés, les organisations de pêcheurs doivent développer un ensemble d'indicateurs qui, pour eux, représentent des marqueurs de réussite. Par exemple, dans le cadre d'une campagne de plaidoyer au niveau communautaire visant à mettre fin à la pêche à l'explosif, les indicateurs peuvent être les suivants : la diminution du nombre de cas de pêche à l'explosif, une meilleure compréhension des effets néfastes de la pêche à l'explosif parmi les pêcheurs, les engagements pris par les pêcheurs se livrant à cette technique illégale à y mettre un terme, les modifications apportées aux politiques nationales en matière de pêche à l'explosif, la présence accrue des autorités dans la communauté à la suite de la campagne de plaidoyer, ou d'autres éléments similaires. Dans la mesure du possible, les organisations de pêcheurs doivent essayer d'attribuer des paramètres spécifiques à ces éléments, afin de mieux mesurer le succès (par exemple, elles peuvent s’accorder sur le fait que cinq signalements de pêche à l'explosif par mois, par rapport à une base de 50 par mois, serait considéré comme un succès).
Étape 9 – Documenter les résultats : Quand vous obtenez un gain de plaidoyer, célébrez cette victoire et remerciez votre décideur, documentez le processus, et apprenez de ce succès. Décidez des étapes à suivre pour recommencer le cycle de plaidoyer et atteindre votre prochain objectif à travers un nouveau gain de plaidoyer qui vous fera avancer vers votre but.
Lorsqu'ils atteignent tout ou partie de leurs objectifs de plaidoyer, les organisations de pêcheurs sont encouragées à rendre publics leurs succès. Cette démarche peut ainsi renforcer leur légitimité en tant qu'organisation, inciter d'autres groupes ou communautés à s'organiser et à mener des actions de plaidoyer, et éventuellement intéresser des organisations ou des institutions cherchant à financer des campagnes aux niveaux local ou national. Cela peut alors permettre aux organisations d’étendre leurs futurs efforts de plaidoyer.
Parallèlement, les organisations de pêcheurs et leurs partenaires de plaidoyer doivent évaluer les succès, les échecs et les défis rencontrés au cours de leur campagne et veiller à ce que les enseignements tirés soient intégrés et partagés. Cela permettra d’augmenter les chances de voir leurs futurs efforts de plaidoyer atteindre les résultats escomptés.